10 septembre 2011

Bernard Fèvre, un artiste Black, Devil, Disco et Club

Bernard Fèvre aka Black Devil Disco Club

Bernard Fèvre, c'est un ovni de la musique électronique (déjà vu ici). Dans les années 70, il sort sous le nom de Black devil l'EP Disco club, qui traversa les âges pour n'émerger que dans les années 2000 grâce aux bons soins d'une nouvelle vague de DJ curieux. Rencontré avant son passage au Temps Machine en juin dernier, il répond sans consession aux innombrables interrogations que l'on a à son sujet.

Tout d'abord, Black Devil est-il vraiment si noir et démoniaque ?

C'est ce qu'on dit ! Je suis noir [rires]... Non ! D'âme, je ne sais pas. Les gens disent beaucoup que c'est noir mais je ne sais pas... C'est subjectif. Ce n'est pas morbide, mais plutôt un mélange de sentiments différents. C'est vrai que dans la vie, il y a du noir, mais c'est plutôt quelque chose qui relève du rêve que du cauchemar. Le rêve est toujours étrange, l'étrange peut être noir.


Depuis 2006, vous avez sorti quasiment un disque par an, entre albums et remixes...

Oui, il se passe plein de choses : des gens me remixent, on m'a demandé d'en faire pour d'autres personnes, il y a eu aussi la réédition de Strange world of Bernard Fèvre (Strange new world of Bernard Fèvre) que j'ai rejoué entièrement avec les mêmes sons mais avec une technologie plus précise qu'à l'époque. Je suis occupé !


Tous ces projets étaient déjà prévus après Disco club, en 1978 ?

C'est-à-dire qu'à partir du moment où l'album de 2006 a réaccroché les wagons, je me suis dit que j'étais content de retrouver ma vibe ancienne. Mais c'était difficile : j'ai mis 2 ans à faire cet album à partir du moment où je me suis aperçu qu'on s'intéressait à moi et je me suis dit que c'était idiot de mourrir idiot [rires] ! Je me suis fait revivre. Et ça m'a fait revivre aussi intellectuellement parce que c'était des idées que j'avais gardées en tête et que je ressortais. Après 2006, j'ai essayé de développer tout ça, tout en restant Black Devil, en essayant de prendre des petits virages sur certains titres. Et le dernier, Circus, c'est encore un virage, pour aller peut-être vers autre chose, ou vers la fin, je ne sais pas, ça dépendra de ma santé ! Pour l'instant, je continue, j'en ai envie parce que les gens me donnent envie. Je pense que ça marchera comme ça : si les gens ont envie, ça me fera perdurer [rires]. Je suis très cartésien.

Avec Black Devil (1978), Bernard Fèvre a 30 ans d'avance sur ses contemporains

Pour vous, Black devil disco club est-il à la mode ?

On le dit oui. On me dit beaucoup en ce moment que c'est une mode qui est en train d'éclore chez les jeunes de l'âge de mon fils, 17 ans. Peut-être d'ailleurs est-ce parce que je l'ai pris l'année dernière comme directeur artistique et qu'il m'influence ! [rires] Je ne sais pas... on me dit ça mais je ne m'en rends pas vraiment compte, je ne regarde pas Internet tous les jours pour savoir ce qu'il s'y passe. Je vois qu'on m'appelle et je viens. Il y a eu de gros succès en salle comme une soirée à Lyon, il y a eu des applaudissements spontanés, réels. Mais il y a un public différent du début : quand j'ai fait les premiers concerts, j'avais un manager anglais et c'était plutôt des collectionneurs de vyniles, des gens entre 30 et 60 ans. L'âge a baissé. Je travaille en france maintenant, et je m'aperçois que des jeunes français viennent me voir à la fin des concerts en me disant "on ne savait pas que ça existait, c'est plutôt sympa".


Pensez-vous que ce soit lié à l'attirance des jeunes pour la musique qu'écoutaient leurs parents, comme on voit ce revival des années 80 ?

Déjà, ma musique date d'avant 1980. Mais s'ils s'intéressent à ça, c'est qu'il y a un manque aujourd'hui : en général, si on va chercher ailleurs, c'est qu'on n'est pas content de ce qu'on a chez soi ! Je vois mon fils, c'est un ado ; ce qu'il écoute à la radio, il me dit en général que "ça le gonfle" et il va sur Internet chercher des choses auxquelles même moi je n'aurais pas pensé. En plus, je lui fait découvrir des trucs que j'ai connus dans mon adolescence, et ça l'intéresse ! Je pense qu'on va chercher aussi des choses qui ont des racines, alors qu'aujourd'hui on a du mal à déterminer les racines dans les productions actuelles, qui sont trop éloignées du sujet.


Vous sentez-vous nostalgique ?

Je suis nostalgique comme tous les gens d'un certain âge. Je ne suis pas nostalgique de ma vie mais de certains moments avec d'autres, de souvenirs avec d'autres et non tout seul ; les souvenirs de créations, je m'en fous un peu. Et je n'aime pas regarder en arrière, ça ne m'intéresse pas vraiment sinon je ne ferais pas de la musique électronique mais du tango !


Qu'est-ce qui vous inspire aujourd'hui ?

Ce qui m'inspire dans la vie, ce n'est pas la musique mais les choses de la vie, et qu'on retrouve dans ma musique. Ce qui m'inspire c'est ce que je vis. J'entends des choses, et j'en entends énormément : mes oreilles sont des capteurs très sensibles donc quand je côtoie des musiciens que je ne côtoyais pas il y a 6 ans, mon oreille apprend des choses, des nouvelles façons de faire que j'ignore. Donc ça m'inspire, et si je les utlise prochainement, ça donnera forcément quelque chose d'autre.

Bernard Fèvre dans les loges du Temps Machine, avant son live le 18 juin  2011
Sur Circus, vous avez collaboré avec de nombreux artistes : Poni Hoax, Nancy Sinatra, CocknBullKid... Suiviez-vous ces artistes depuis un moment ?

Nancy Sinatra, oui évidemment, je la suis depuis ses débuts ; je la connais depuis longtemps, elle faisait déjà partie des légendes à mon époque. C'était des légendes, le père, la fille, "les bottes qui sont faites pour marcher"... [rires] Autrement les autres, j'en ai découverts certains et je savais que d'autres existaient. Afrika Bambaataa, je connaissais, Nicolas Ker aussi mais sans savoir vraiment, et on me l'a présenté. CocknBullKid, je ne l'avais pas entendu et c'est un copain qui m'a fait écouter. Je cherchais des gens dans des univers différents, et dont les voix sont toujours différentes. De ne pas avoir le même feeling vocal, c'est ça qui m'intéressait. Et j'ai eu la bonne surprise de voir que personne n'a dit non à mon invitation. Il n'y a en fait qu'une personne qui m'a dit non, et pour des raisons commerciales, c'est Bryan Ferry parce qu'il sortait son album exactement en même temps ; par contre, c'est son fils qui voulait absolument qu'il vienne chanter sur mon disque. Alors, peut-être que ça se fera plus tard ! Donc tous ces gens, j'en connaissais et mon équipe qui est plus jeune que moi m'a fait découvrir des choses nouvelles auxquelles je ne pensais pas. Et le challenge, c'était de savoir si ma musique, qu'on dit tellement sombre et différente, pouvait supporter des gens aussi différents et pas particulièrement sombres, comme YACHT... A ma grande surprise, ça a été, les titres ont été super bien choisis et on n'a pas l'impression que ce sont des voix qui auraient été collées sur un playback. Certains morceaux se sont faits chez moi et d'autres par Internet parce que je ne pouvais pas demander à Madame Nancy Sinatra de se déplacer à Paris, et le tout dans des relations sympathiques. Ce que je voulais aussi, c'était tout gérer de A à Z, sans influence, et ça s'est fait de façon impeccable.


On remarque aussi que dans vos collaborations, vous embrassez un panel d'âge assez large, était-ce une volonté de votre part de montrer que la musique est intergénérationnelle ?

Oui ! Je reproche particulièrement à la France et partout dans le monde, cette division entre les âges. J'ai un fils de 17 ans et je m'entends très bien avec lui ! Je ne passe pas mon temps à lui dicter sa conduite ! Par exemple, quand on fait des festivals avec les anglo-saxons, il y a un mélange d'âges vachement fort : les bébés et les pépés qui sont ensemble, et pour une musique qu'on appelle encore en France "musique bourgeoise" ! Je pense que les générations peuvent s'entendre, et se sont toujours entendues en musique. Voilà, ça me ferait plaisir d'avoir des salles avec des gens de tous les âges. Evidemment, il y a un un maximum, parce qu'il y a un moment où on décroche par la santé, quand on devient trop vieux on ne peux plus aller dans les festivals, c'est sur...

Circus (2011) par Black Devil Disco Club


Quand vous partagez l'affiche avec de nouvelles têtes de l'électro comme par exemple Mondkopf ce soir, que vous dites-vous dans les loges ?

On échange des trucs. Par exemple dernièrement à Brighton, on a joué sur le même plateau et je lui ai prêté ma prise de courant, mon adaptateur, donc oui, on s'échange des trucs [rires] ! C'est vrai que la scène, c'est quelque chose de particulier : chacun est sur son cheval, sait qu'il va faire son job, donc on est chacun un peu dans une bulle. On ne peut pas dire que c'est le moment où on va être le plus festif et le plus "en relation". Je pense qu'on serait plus en relation si, comme ce que j'ai connu dans le music-hall où, après le spectacle, on allait manger au restaurant ensemble. Ce qui ne se fait pas beaucoup dans ce monde-là parce qu'on joue tard et les restaurants sont fermés. Je pense qu'on se rencontrerait plus ailleurs, sans oublier le timing à respecter, la mise en place... Tout le monde est préoccupé par son truc, c'est pareil pour les musicos, le théâtre ! Mais il y a qu'après, comme ce sont des spectacles tôt, le gens se retrouvent, à minuit. En province par exemple, à minuit, des lieux peuvent encore être ouverts, mais après minuit... Aussi, même si on ne se côtoie pas vraiment, il y a plutôt de la sympathie entre les gens de l'électro, il n'y a pas vraiment de haine, même si bien sur certains sont plus prétentieux que d'autres.


Vous ne ressentiez pas la même chose quand vous jouiez avec votre groupe de rock ?

Non, car il y avait justement cet après spectacle. Là, on joue généralement tard mais moi, j'ai limité à 3h du matin : après, je ne joue pas.


3h du matin ? C'est quand même tard !

Oui, mais une fois à Londres, ils m'ont fait jouer à 4h... j'étais très en colère !


[Là, voyant que Bernard Fèvre me tutoie, je m'y mets aussi !]

Comment vis-tu tes lives ? As-tu préparé une scéno ?


Je vise le minimum de désagrément et le maximum de confort. Je n'ai pas les moyens de m'offrir un plateau énorme donc je fais mon live avec un laptop, un micro et un clavier. Comme ça, je joue, je chante et ça vit. Comme je ne suis pas DJ, je ne sais pas manipuler les machines mais je fais mon travail comme un musicien-chanteur. En réalité, c'est ce que je fais quand je fabrique mes disques. Je suis limité au niveau au niveau des claviers, je ne peux pas tous les utiliser sur scène ou il faudrait être beaucoup plus nombreux ; et comme ils ne sont pas programmables il faudrait tout jouer live. Il faudrait être 7 ou 8 pour reproduire en live ce que je fais sur un disque, impossible pour ma notoriété qui est raisonnable, mais je ne fais pas de cachets de stars.


Aussi, tu en deviendrais presque un chef d'orchestre, à diriger 7 ou 8 personnes !

Oui, et je ne sais pas si ce serait vraiment amusant de voir 7 mecs sur des claviers, à moins que ce soit des clowns ! Jeune, je faisais des spectacles, et je préfère en faire un qui tient le coup à moi tout seul qu'un mauvais spectacle à plusieurs et qui soit ringard. J'ai une assez bonne allure sur scène, je fais souvent le con, je bouge, je ne suis pas statique et je m'amuse bien, surtout quand le public marche.


En donc en live pour Circus, tu fais les voix de ton album ?

Tous les choeurs, c'est toujours moi. Là, j'ai pris des chanteurs mais jusqu'à présent c'était toujours moi. Etre chanteur, ça fait partie de mes prérogatives de musicien : chanteur, clavieriste, arrangeur, harmoniste, compositeur. J'ai fait plein de boulots : prise de son, mixeur...

Circus (2011) par Black Devil Disco Club


Et quand on touché à tout dans le domaine de la musique, ça ne rend pas plus critique quand on entend ce qui passe à la radio ?

Bien sur, je suis toujours en colère quand j'entends ce que j'ose appeler des "merdes". Je ne détiens pas la vérité, je dis toujours que j'ai du mal à donner des conseils à des gens. Moi, je suis peut-être un vieux con aujourd'hui qui va dire à un mec "c'est de la merde" mais c'est ce qu'on m'a dit il y a 30 ans pour ma musique électronique. Donc on ne sait pas ce qu'on est : je pense ne pas être trop décalé, et on me dit toujours que je suis en avance. C'est cool parce que je n'ai pas à courir après les gens, ce sont eux qui me rattrapent. 30 ans en avance, je suis tranquille ! [rires]


Encourages-tu ton fils, qui est aujourd'hui ton directeur artistique, dans la création musicale ?

Pas du tout ! Je l'ai eu à une période où c'était très dur : j'arrivais à la fin de ma carrière de publicitaire/publiciste, j'avais énormément de mal à trouver du boulot. Et il n'a pas un don fou comme moi j'avais pour la musique : dès l'école maternelle, quand il y avait un piano, je jouais. J'étais attiré par les pianos comme les souris par leur fromage. Donc il n'a pas ce don là et je considère le métier de musicien comme un métier très très dur. Peut-être qu'il y viendra, mais ça viendra de lui et pas de moi.

Album Cosmos 2043 dont le titre Earth message a été samplé par les Chemical Brothers sur Got glint?


Aujourd'hui, on te dit pionnier de la musique électronique, on te rapproche de Air, Aphex Twin a réédité Disco club, les Chemical Brothers ont samplé "Earth message" de l'album Cosmos 2043... malgré tout ça, pourquoi crois-tu que le public n'était pas prêt pour ta musique jusqu'à récemment ?

Je pense que le public a autre chose à faire ! [rires] Et ce sont les DJ qui ont fait le pont entre moi et le public d'aujourd'hui. Ce sont des gens comme Aphex Twin, Morgan Geist au Etats-Unis, Lindstrøm en Norvège... Ce sont des DJ anglosaxons internationaux qui ont dit "ce mec-là, c'est bien ce qu'il fait, on va le passer dans les soirées". A partir de là, le public a accroché. Il y a eu aussi ce grand revival de musiques dites italo-disco dans lequel on me classe, alors que je ne suis pas du tout italien. Mais comme mon disque a été réédité par des italiens dans les années 80, ils m'ont connu par ce bias-là. Mais je ne le savais pas, j'avais totalement oublié ce disque ! Quand on m'a dit tout ce qu'il se passait, j'ai du demander une copie CD parce que je n'en avais pas. Je l'ai écouté et j'ai bien du mettre 1 minute à me dire "c'est moi qui ai fait ça". Et les images sont revenues. Moi, j'existe grâce à Internet. Aphex Twin l'a découvert dans une brocante et je crois qu'il l'a acheté pour quelque pennies. Ca m'est arrivé comme ça, sur la tronche, comme un cadeau [rires]. J'ai bien répondu à la question ou je suis parti trop loin ?


C'est très bien ! On en arrive à la dernière question de cette interview... Qu'y a-t-il dans le Grenier de Black Devil Disco Club ?

Il y a des tas d'anecdotes musicales, amusantes parfois. Mais comme je te disais, je ne vais pas dans les greniers parce que ce n'est pas le passé qui m'intéresse, mais mon petit avenir. Mais je pourrais y avoir mon premier piano et je me dirais "qu'est-ce qu'il était pourri, il sonnait mal..." [rires] Je n'ai pas de disque parce qu'en général, je les balance au bout d'un moment. Je ne suis absolument pas conservateur, j'ai décidé que dès qu'une chose ne servait pas depuis 6mois/1an, je jette. C'est pas un ordre, hein, c'est un conseil !


Qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter de plus ?

Une bonne santé.


Alors bonne santé, et merci beaucoup Bernard Fèvre !


Pour en savoir plus, visitez son myspace.


En bonus, un peu de musique !

Strange new world of Bernard Fèvre : Dali


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